600 millions de personnes en Afrique subsaharienne n’ont pas accès à l’électricité
La question énergétique en Afrique sub-saharienne est un enjeu important. Comme Fatih Birol, directeur de l’Agence internationale de l’énergie, et Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne, nous le rappelle dans un article du 17 juin 2021 : « Près de 800 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité à travers le monde, dont 600 millions en Afrique subsaharienne ».
Nous avons pu échanger autour de cette question avec Madame Langsi Yeloma Ruth, Agro-Environnementaliste-Économiste, coordinatrice de l’Union Africaine des ONG de Développement (UAOD) et cheffe de l’antenne camerounaise de l’association Terre des jeunes, membre du Conseil international d’EKOénergie. Dès le début de la conversation, elle affirme que les événements contemporains fragilisant la stabilité énergétique dans le monde ont « des effets importants en Afrique sub-saharienne. Ils participent à accentuer la vulnérabilité africaine au sein de ce système mondialisé ».
L’énergie est un des verrous principaux du développement de l’Afrique subsaharienne.
Chère Ruth, comment définiriez-vous la situation énergétique actuelle en Afrique subsaharienne ?
« La rareté, l’inaccessibilité et la pauvreté énergétique est extrêmement importante dans le quotidien de plusieurs millions d’habitants d’Afrique subsaharienne. L’insuffisance et le coût élevé de l’électricité pénalisent de nombreux secteurs comme l’industrie, le transport et toutes les activités modernes et illustrent la faible consommation d’énergie dans cette aire géographique, qui est à la fois un symptôme de pauvreté et un obstacle à l’amélioration économique et sociale. L’énergie animale, humaine s’impose comme les alternatives dominantes à cette précarité énergétique en Afrique subsaharienne, limitant ainsi le développement économique et social tout en limitant la création de nouvelles opportunités pour les habitants, notamment pour les femmes. Des innovations sont à rechercher pour que l’énergie ne soit plus un frein mais un catalyseur du développement ».
En parlant d’innovations, y-a-t-il eu des programmes ou des idées d’expérimentations énergétiques développés en Afrique subsaharienne, pour contrer ce problème majeur ?
« La région subsaharienne de l’Afrique a connu de nombreuses expérimentations ou programmes dans le but de lutter contre la pauvreté énergétique – notamment dans les zones enclavées aux forts potentiels agricoles et industriels. De nombreux résidus agricoles les plus divers – graines de coton, bagasse de canne à sucre, coques de cacao, de café ou d’arachide, etc. – ont été sollicités. Ces expériences certes ingénieuses permettent seulement de satisfaire des besoins locaux et ne peuvent être répliquées à grande échelle. Si l’on se penche sur la question des énergies renouvelables, leur coût et leurs exigences technologiques les ont longtemps placées hors de portée des possibilités africaines, notamment des personnes les plus précaires, qui sont les principaux touchés par la précarité énergétique. Ces innovations sont, dans le contexte économique et sociale de l’Afrique subsaharienne, limitées et non vertueuses ».
Quels sont les impacts directs liés à cette question de l’énergie ?
« Malheureusement, elles sont nombreuses et ne peuvent être quantifiées, car l’énergie est une condition prérequise à presque toutes les activités humaines. Je peux citer deux exemples :
- Sur le plan économique, le prix élevé de l’électricité est un obstacle majeur à l’industrialisation, ou encore, est un frein au développement économique et à la création de nouvelles opportunités ou alternatives professionnelles et vertueuses.
- Sur le plan écologique, la croissance démographique de l’Afrique subsaharienne est certaine et élevé, de l’ordre de 2 à 3 % par an, amenant cette population à doubler d’ici 20 ans, et par conséquent, celles des aires urbaines également. Or, la consommation des population citadines est différentes des populations rurales : le charbon de bois est souvent préféré en milieu urbain car moins encombrant, plus facile d’utilisation que le bois. Ainsi, avec la conjoncture démographique que connaît cette aire géographique, doublé à cela la consommation de charbon de bois dans les centres urbains, l’accroissement de la consommation de charbon de bois pour subvenir à une population de plus en plus grandissante aura un impact significatif sur l’environnement.
Ainsi avec un coût énergétique élevé, notamment pour les innovations et installations d’énergies renouvelables, l’utilisation du charbon de bois, source beaucoup moins chère, sera malheureusement préférée dans les grandes villes d’Afrique subsaharienne. Si l’on conjugue à la fois les impacts économiques et environnementaux, on y dessine malheureusement un cercle vicieux : un prix de l’énergie actuel hors de portée, une énergie rare notamment dans les zones rurales limitant et bloquant toutes créations d’alternatives vertueuses tant socialement qu’écologiquement ».
L’énergie solaire connaît une croissance rapide dans le monde entier et apporte désormais de l’électricité à un prix abordable dans de nombreuses régions du monde qui n’avaient jamais été électrifiées auparavant. Comment voyez-vous cette évolution dans la région subsaharienne ?
« L’Afrique a fait de grands progrès dans le développement de l’énergie solaire. Au Cameroun, le développement de ces énergies renouvelables nécessitera la mise en place d’un contexte économique et réglementaire adapté, incluant la décentralisation des moyens de production de l’électricité et un cadre légal favorisant le développement d’un marché assurant sa pérennité dans le long termes. Cela peut se faire en réduisant les coûts de vente et des installations trop élevés ».
En concluant notre échange, Ruth Langsi Yeloma réaffirma que « l’énergie est un des verrous du développement de l’Afrique subsaharienne ». Elle ajouta que les « expériences du passé ont montré que les meilleures chances pour lutter contre la précarité énergétique reviendront aux innovations ne se contentant pas d’importer des solutions technologiques exogènes, mais à des solutions répondant aux besoins et possibilités des consommateurs africains ».
Chère Ruth, merci beaucoup pour cette échange et nous vous souhaitons le meilleur dans vos activités d’aide aux populations et de préservation et de protection de la nature au Cameroun !
Publié le 31 Octobre 2022